2010

* Ce qui, dans la douceur, éprouve la tragédie du Monde, c’est la force suspensive du poème, l’hésitation entre célébration et recueillement. Et nous voici abandonnés entre les mains de l’être dans l’atelier de sa création.

* Echappant à la science, la question du sens ne peut recevoir de réponse que mystique, philosophique…. ou poétique.

* Il est des intuitions qui nous frappent par fulgurances. Toute confiance, toute énergie, toute assurance nous viennent de là.

* Il y a, dans l’amitié de certains regards, un déluge, une douceur, un martyre, et cette tranquille humilité qui déshabille le coeur bien plus que la chair.

* Créer engage l’être entier. C’est une responsabilité terrible et merveilleuse. Ajouter une parcelle, fût-elle infime, à la beauté. Rendre grâce à ce qui ne peut être dévoilé. Vraiment, créer est acte d’amour.

* Si l’homme n’avait pas conscience de son insignifiance, s’il ne se savait pas viscéralement mortel, condamné dès la naissance, jeté au néant de la solitude, jamais il n’aurait été hanté par la perfection, jamais il n’aurait été dévoré par la question de l’être. Et jamais il n’aurait pu soupçonner l’infini qui de toute part le façonne.

* C’est à l’homme, et à l’homme seul, de creuser sa différence au sein des vivants. C’est une grâce inestimable d’entrevoir ce mystère. Et l’homme de récuser l’absurde par sa seule existence.

* Austère grandeur de l’art. Ces touches tellement douloureuses qu’elles émeuvent par leur simple présence. Aucun artifice. Une pureté poussée jusqu’au plus extême dénuement. Le regard même de l’être magnifié dans sa fragilité.

* Toutes ces heures de travail acharné qui n’ont accouché que de quelques scories. Quelle stérilité et quel gâchis ! Mais quelle formidable leçon d’humilité aussi !

* Travail d’écriture. C’est le sens qui doit rendre compte du long cheminement intérieur, non la forme qui doit s’y assujettir. C’est le sens qui doit être creusé, intensifié, atteindre à une densité qui se passe d’argumentaire. La forme, elle, doit s’effacer jusqu’à la transparence.

* Pousser l’intelligence au-delà de ses frontières, c’est en fin de compte l’inviter aux leçons d’une maîtresse beaucoup plus généreuse qu’elle.

* Ecrire. Ecrire. Ecrire. Obsession rituelle. Fissure mentale. Absurdité maniaque. Ou pulsion d’une vérité qui veut à tout prix jaillir, à tout prix s’épancher ? Au fond, Dieu même s’est-il jamais arrêté d’écrire ?

* L’écriture trouve parfois le pouvoir magnifique d’engendrer ce qu’elle ne parvient pas à exprimer. Quand le lecteur trouve la grâce d’entrer en résonance avec l’indicible. Ses émotions profondes, sa vibration fondamentale s’en trouvent alors comme mystérieusement complétées. C’est son énergie intime qui prolonge l’ébauche du poème.

* Creuser la dimension spirituelle du silence, c’est la vocation paradoxale de la parole poétique.

* Ce n’est pas l’homme qui crée, c’est l’infini. Mais sans l’homme, l’infini n’aurait pas de témoin.

* Il est une forme de misère qui n’engendre aucune désespérance. C’est l’écrasement face à la grandeur. Car la grandeur est bien là, somptueuse et assourdissante. La misère n’est que dans le défaut à ne pouvoir proprement l’embrasser. L’homme qui ressent ce manque se reconnaît fragile et vulnérable. Mais il ressent aussi la violence de cet appel, la force qui le précipite dans sa quête d’absolu. S’il parvient à épouser sa misère, l’homme, sans trahir, épousera la grandeur.

* Servir l’être, c’est se dépouiller de tout ce qui pourrait entraver sa sublime floraison.

* Qu’il te suffise d’écouter croître en toi les herbes tendres de la vie.