Hommage à Saint-John Perse (II)


« Aux soirs de grande sécheresse sur la terre, nous deviserons des choses de l’esprit… »
(AMITIE DU PRINCE)



Et la femme n’est plus chair
mais mer à féconder,
et la chair n’est plus mort,
mais douceur allaitée au plaisir.
Et c’est mouvance dans ton poème
et frémissement sur nos rivages,
onde frayée dans l’âme,
car la mer n’a de course que par la vague qui l’enfante !

Toi dont l’itinérance secoue notre tradition
- lumineuses pages prophétiques -
toi dont l’exubérance déjoue notre condition
- lumineuses pages prosodiques -
Ô Saint-John Perse
écoute, écoute donc
qu’une même transe nous consume dans l’effraction de ta puissance !

Toi le Poète, nous défais,
et des Antilles lointaines résonnent
ces bruissements d’une pesanteur vaincue !
Action de phrases et de recueillement,
ta luxuriance nous soit réminiscences aux forges de l’enfance.

En marche, dans l’émergence du mouvement
en marche, dans l’insouciance du moment,
Poète du Vivant,
Prince de la Vie.
Un tel soin à l’édifice de l’écrit,
une telle attention à toute chose,
nous disent hautes, nous disent vraies les transhumances du désir,
nous disent nues les noces à la plongée des peaux !

Toi, le Poète, nous dévêts,
et nos regards s’attellent
à l’avènement de tes marées !
Charmes de transcendance,
charmes d’érotisme aussi parfois - mais sacrés - mais portés bruts
à ta hauteur d’homme libre,
quêteur infatigable d’humanité profonde,
quêteur d’immortalité dans son chemin d’extase.

Vigueur et verdeur entremêlées,
sur nos corps fondus dans l’expérience de la chair,
sur nos corps épris d’une jouissance sans prénom,
le poème est vainqueur
qui laisse glisser
cette Grande Voix par mille souffles rapportée,
cette Grande Voix par mille souffles colportée.

Nous t’honorons, langage, sens premier
et sens sacré de l’Univers,
dans la scansion que ta verve imprime au vent même
aux ordres successifs d’un corps
qui nous dépasse infiniment
mais est notre substance même -
et est en nous la chose même qui respire et qui espère.

Quel mieux qu’un pur langage peut susciter
une telle fierté, un tel frisson de vivre,
sur les hauteurs des hautes crêtes fustigées !

Et les vents, les vents mêmes n’ont point chanté
plus vaste empire que
cette longue preuve de la chose puissamment dite,
cette longue preuve de la prose puissamment recomposée.

Et qu’au moment même de mourir,
s’offrent la saveur et la pêche
s’ouvrent le puissant arôme de l’amour
- soie sous la peau rassasiée -
et ce goût - ce goût qui fond
comme une action de grâces frémissantes et suppliantes.

Toi, le Poète, nous revêts,
d’un âge luxuriant prononce l’exotisme !
Et ton destin s’accomplit dans ses vendanges,
tant l’exil te fut faveur - comme la vieillesse - jusqu’au ravissement.

Car tout en toi est louange.
Car tout par toi fait signe.
Tout est douceur des choses annoncées dans l’avènement des roses.
Et créateur,
novateur, tu fondes
tu fondes chaque conquête sur une blessure égale à la lumière.

Oh cette force, cette puissance,
qui semble trouver toute seule la voie d’une expression brillante,
et s’épanouir, naturelle et vive,
dans le paradigme des louanges !

Au retour d’un bannissement aux Amériques,
ô Saint-John Perse,
tu secouas ton œuvre de toute la masse de ses signes.
Tu secouas ton œuvre
œuvre en toute œuvre commencée,
œuvre en toute œuvre commentée,
et pourtant unique,
solitaire emblème d’une ovation en guise de poème.

Et la Beauté est ton Royaume.
Et ton Royaume est satiété.
Dans les sables soulevée
ton éloquence à la manière du divin,
ton éloquence à la lisière du divin,
par l’émotion convoquée
à chaque verset de ton immense prosodie.

Toi, le Poète, nous enseigne
à la lueur du texte sacré,
la fable immense de la vie
la vie immense d’une fable pétrie d’argile !