Hommage à Saint-John-Perse (V)


…Les tambours de l’exil éveillent aux frontières
l’éternité qui bâille sur les sables…(ANABASE, I)



Poème ! Ô sédition, ô comble de l’Etre dans l’énigme du langage,
Et quel émoi qu’un tel émoi qui parle !
Ta fièvre en nous qui gronde !
Et quel émoi plus pur
qu’un pur émoi qui tremble !
Dans l’insomnie de tes raffinements sémantiques,
dans l’harmonie de tes sédiments emphatiques,
voici, j’entends
ce nom en nous qui songe,
ce nom qui soigne
(je parle ici d’un dieu caché derrière cette compulsion d’écriture),

Ah ! rhétorique à son paroxysme,
Mer phonétique dans sa phosphorescence,
Mer spasmatique jusqu’à l’incandescence,
poème intégral par
l’extase
d’une simple goutte portant tout l’Univers.

Mer qui te fais dans l’assourdissement du langage,
Poème qui brûles dans l’étourdissement de ses pages,
Voici qu’en toi s’égaillent les brandons du jour dépecé.
Et le Soleil est divulgué !
Et le Soleil est invité au conciliabule des marées !
Et tout précède cette longue phrase bâillant sur l’or des plages,
tout s’éclaire aux battements du coeur,
lui qui pleure de se sentir
à ce point surpassé
à ce point exhaussé.

Toi le poète des alluvions,
Toi qui puises dans cette limoneuse déférence,
donne-nous à entendre
cette infusion, cette confusion de vivre.
Toi le poète des allusions,
Toi qui puises dans cette lumineuse révérence,
donne-nous à comprendre
cette effusion, cette profusion de vivre,
donne-nous de naître à nos propres existences,
oui d’atteler nos naissances à de vertigineuses espérances.

Et atteste, ô Saint-John Perse,
atteste de la splendeur des soirs
audace parmi les grandes -
chef d’œuvre que les chagrins
charrient dans la métamorphose des nuages,
sous les éclairs du ciel distribué.

Et atteste - comme tout atteste -
lumière comme poussière l’une et l’autre friables et suspendues,
lumière comme poussière l’une et l’autre semblables et confondues,
atteste comme tout atteste au sein de l’indigence,
ô Saint-John Perse,
et nomme
cette aisance qui ne fut point la moindre :
grandeur perpétuée
dans sa substance chantante et rayonnante.

Car ta vocation fut bien d’élever nos âmes
à la conscience
d’une souffrance plus douce à force d’être nommée
par le prodige de cette voix
consacrant les plus humbles choses -
et les nommant, les rend plus pures,
les rendant chaudes à la plus belle lumière.
Et rien n’est plus beau
au gré des eaux
que le lever d’une tel génie porté à son ébullition.

Et du pluriel l’incise soudaine
- diversité dispensatrice et immensité distributrice -
fut saisissement sous la déflagration de l’ignorance.

Homme dans l’afflux du Poème,
homme sous l’injonction nue de la Mer,
homme renfloué
homme relevé
si l’éternité
s’envole
dans le miracle de sa stupeur transfigurée.