Hommage à Saint-John Perse (IX)


Etroits sont les vaisseaux, étroite notre couche. (AMERS, IX, 1)


Et les mots tombent,
comme des promesses de retour,
Et les mots tombent,
dans les présages du grand jour,
mots raconteurs de fables
- mots raviveurs d’une mémoire longue -
et notre joie devenue ciel s’inscrit dans leur genèse,
comme cette houle qui prospère dans les orages.


Et très ancienne ta victoire aux racines du monde
(à ce fait d’armes, j’ai reconnu ton rang),
Et ta gloire n’est pas vaine à susciter l’émoi
(car ta noblesse est dans la divination des choses).
Ce n’est pas d’une œuvre dont j’honore l’audace
- mais d’une parole salvatrice pour les âmes.
Un pas retentit sur la dalle équarrie,
ô Saint-John Perse,
un pas de prince pourvoyeur d’éternité.


Celui que le langage fonde -
qu’il n’ait qu’un chant à adresser au ciel
car l’allégresse est contagieuse, comme la chair !
Et ta parole, magnifique, n’est point scellée,
mais ta parole nous est offerte,
comme une femme consacrée par son amour
comme une femme dans le satin de ses atours,
affairée, affirmée,
comme une fulguration de l’esprit sous la sève du corps.


Quoi de plus vrai,
quoi de plus noble que
cet abandon de l’homme
dans les proses qu’il dédie à son âme ?
Et cette passion raconte quelque chose du divin,
et cette écume
est celle longue des noces à venir.
Dans les lacis, les détours,
dans les ressacs de cette langue comblée,
les mots entre les rives du silence,
comme une orgie de caresses
sur un corps de douceur.


Etroits sont les vaisseaux - étroite la césure.
Et sur la mer en fièvre, les voiles éparses de nos songes,
- immense notre clarté -
- immense notre éclat -
et sous la face du poème, l’étoile s’ouvre
dans les eaux noires d’une nuit d’or.
Fête d’or sur nos têtes.
Fête d’or sur toute tête couronnée.
Un prince songe-t-il ce soir à la richesse de son âme ?


Qu’une même vague nous plonge dans sa chair,
qu’une même vague nous sonne l’impunité.
Ô jubilation du sang au corps,
quand se met à pleuvoir l’amante déshabillée,
quand c’est au plus profond de deux sensibilités
que se confrontent les fêlures
quand c’est au plus serré de deux humilités
que se consolent les brûlures
(ainsi l’homme dans le soupir de la femme :
sa soif n’attendra pas la chaleur de ses rêves).


Et les mots tombent,
comme des promesses de secours,
Et souveraine ta victoire aux racines du monde.
Un pas retentit sur la dalle équarrie,
ô Saint-John Perse ,
un pas de prince pourvoyeur d’éternité.
Et les mots tombent.
Les mots tombent alentour.


Et partout, partout cette mer
religieuse et nue
qui danse dans nos mémoires,
partout cette mer qui chante,
puissante et obstinée,
comme un plaisir, comme un désir,
comme un plaisir de femme dans l’effervescence du désir.