La conversion de Paul Claudel

Mon Dieu !
Encore la Mer qui se soulève et me transporte.
Mon corps partout qui reçoit l’onde de la première vague,
mon corps qui reconnaît l’appel sacré,
quand c’est toute la Mer qui explose dans l’apothéose des marées.
Et la joie est haute comme une résurrection d’écume sur la plage exaltée.
Et les douleurs sont épanchées,
Et les douleurs sont épongées,
sitôt que le calme de l’été s’est embrasé sous le dernier Soleil,
sitôt que le drame de l’été s’est déversé dans le miroir du Ciel.

A présent, il fait noir.
Il fait nuit, à présent,
et voici, Mon Dieu, que ta lumière s’endort comme quelquefois la Lune
s’endort dans la douceur livide de sa sphère énorme.
Ô Nuit trop blanche pour ne pas m’écorcher.
Ô Nuit trop belle pour ne pas m’inonder.
Et cette piété qui nous rassemble
cette tendresse qui lave toute fatigue
cette caresse sur le front qui apaise
comme ce sein blanc que tétèrent nos lèvres
lorsque nos corps balbutiants s’ajustèrent à la vie.

Ô miracle du lait
par la métamorphose du Ciel qui allume le vent nocturne,
cette présence sous nos yeux
qui débusquent la clarté du jour.

Mon Dieu ! Ta grâce sur nos âmes qui s’évaporent.
Et lentement nos corps dérivent
vers ces rivages tranquilles où s’étourdissent les navires.
Qu’il est grand, le naufrage de l’homme !
Qu’elle est chaude, la Mer,
lorsque s’étend son corps sur nos corps ensevelis sous les vagues !

Et le Ciel admonesté vire à la grandeur !
L’intelligence est vaincue
qui remise ses études dans le sommeil des songes.
Et le Ciel admonesté vire à la splendeur !
Voici l’aube qui soulève la Mer,
sous les gifles du vent, dans le ressac des grèves.
Voici l’aube empruntant sa minceur au regard des étoiles.

Mon Dieu ! Allège-moi de mes chairs !
Reçois ma souffrance, accueille l’humilité d’un cœur
enfin promis à la contemplation de ton visage.
Reçois le repentir d’un homme
enfin fendu
enfin brisé
Mon Dieu qui rit,
Mon Dieu qui aime,
reçois la conversion d’un homme
venu s’allonger nu à la lisière de son âme !