Jour 19



La mer m’est-elle souffrance ou rédemption ?
Somnambule, égaré, abruti, c’est ici sur ce vieux rafiot que je sens le mieux ma vie, solidaire des hommes lointains, solitaire et si proche de la destinée de mes semblables.


Pour m’accommoder du monde, j’écris.
Nul besoin d’accroche pour que ma soif hurle au bout de mes doigts. Je ne mendie rien à l’inspiration. C’est la mer qui m’emporte dans ses salves. Sa gestuelle animale, frénétique me monte à la tête et m’humecte les lèvres. La mer m’écrit, s’écrit puis s’écroule, la mer qui s’accorde d’autant mieux à mes défaillances qu’elle s’habille de mes souvenirs.


Déambulation sur le pont. Pagaille à l’approche du port. La chair brûlante des vagues est soudain prise de convulsions. Partout l’ardente coulée et l’aisance des vagues, le souffle au ras des eaux granulées de lumière, la profusion grésillant sur la liquidité luxuriante. Insurrection tranquille et fumante, voici l’ivresse du drame qui bientôt renversera le ciel.


Par les flots qui l’ont vue naître et renaître, la mer m’est-elle souffrance ou rédemption ? Comme une ovation pieuse, elle s’abat sur les mots mêmes que j’écris. Mais le vent m’asphyxie. La brûlure du soleil est obscène sous les glaives de midi. Sa piqûre m’entre comme un venin dans les sangs, son festin infecte mes dernières forces amaigries.


A présent, impossible de déposer la plume.
Impossible de déserter ce monde à l’heure même
où la mer sortie de lit
viendra flotter comme une trop belle maladie
sur ma vie, sur mes pages inachevées.