Chroniques de lecture


« Bains », éditions Alzieu, 2009
Préface de Chantal Dupuy-Dunier

Si la balnéothérapie est devenue très à la mode, il semble que la balnéopoésie soit restée jusqu’à ce jour confidentielle, tout au moins dans nos pays où la pratique du hammam et autres ablutions n’est pas ancrée comme en Orient au sein d’une longue tradition culturelle.

Daniel Berghezan s’est emparé d’un sujet original pour l’explorer comme un scaphandrier le ferait de fonds océaniques. Et il est parvenu à conférer à ses immersions dans l’ustensile domestique qu’est une simple baignoire l’immensité d’une mer apportant avec ses vagues de multiples réflexions, sur le corps, sa nudité, les métamorphoses qu’il a connues :

J’intègre cette fluidité qui rêve sur mes flancs,

L’auteur appréhende ici la dimension métaphysique :

Qu’elle est grande l’humilité de cette goutte attardée sur ta peau !

On retrouve la symbolique de l’eau baptismale, purificatrice.

L’eau et le corps ne sont plus que les mêmes gestes d’un rite sacré.

Le poète sonde maintenant les profondeurs de l’eau :

Le corps ne triche pas.
Ni équivoques, ni subterfuges.
Mon corps risque ses préférences.


Son style est ample comme une marée, sac et ressac.

Daniel Berghezan nous livre ici un premier recueil, mais il a déjà participé à des ouvrages collectifs, été publié dans les revues MIDI et ARPA. Par ailleurs, il anime un atelier d’écriture poétique. Le thème de la mer est, depuis longtemps, son thème de prédilection. Ce qu’il nous donne à voir et à entendre ici est l’étendue de sa mer intérieure.


Chronique de Jean-Pierre Farines, Revue ARPA, N° 98, 2010.

Il y a toujours chez Daniel Berghezan une complicité élémentaire avec le monde marin. Avec l’eau dont il veut passionnément dire le caractère essentiel, vital, maternel aussi. Et il trouve dans la fluidité du poème le meilleur moyen de suggérer la liquidité du bonheur de ces noces aquatiques.

Il semble que je renaisse en cette fluidité essentielle, où mon corps sans ombre se meut dans les circonstances inouïes de son apesanteur. Retour à la ferveur virginale, à la pudeur nettoyée. Une purification muette s’achève en profondeur.

Bains, publié aux éditions Alzieu, et préfacé par Chantal Dupuy-Dunier, célèbre ainsi le plaisir, le jouissance quasi érotique trouvée dans « L’immersion totale et salvatrice ».

Revenir à l’essentiel donc, mais au sens fort, c’est-à-dire à l’essence même, où le corps libéré reconnaît un instant sa réalité. Revenir à soi au-delà de toute fatigue. Daniel Berghezan invite à cette rencontre dans des poèmes dépouillés eux aussi de tout artifice, de tout vêtement superficiel. Dans un poème, plus exactement, dont chaque phrase, chaque fragment approche lentement une communion, comme un orgasme, avec une insaisissable vérité.

Mer soudaine Ô folle ressemblance !
Le corps ne triche pas.
Entier face au soleil – nu
face à l’amour – nu
face à la souffrance.


L’eau parlant ainsi au corps un langage qu’il reconnaît, c’est au-delà de ces « réminiscences utérines », jusqu’à un début de conscience de soi que mène cette immersion profonde. L’eau comme le silence autour du poème. Comme un silence vivant autour du vrai moi. Et dans ce dialogue où le corps s’allège, se purifie, le poème devient extatique devant la Mer sublime Sel de la divine transparence.

Il y a chez Daniel Berghezan et dans sa poésie, la limpidité d’un cœur simple, voué à la recherche et à la contemplation d’une réalité d’être qu’il traduit avec un bonheur que le lecteur partage volontiers.

Me voici simplifié
rendu clair à l’onde claire.



« Les Admirés », éditions Musimot, 2016
Chronique du « blog de Michel Diaz », 2017.

Voilà un petit livre, ou plutôt un petit objet littéraire, très soigneusement et très joliment mis en page par Monique Lucchini, qui prouve que l’on peut, sans déployer de grands moyens, offrir aux textes que l’on a élus un écrin élégant et sobre dont on devine que le contenu a quelque chose de précieux.

Pour expliquer son titre, Les Admirés, et justifier les dix textes de cet ouvrage, l’auteur, Daniel Berghezan, a écrit dans la quatrième de couverture : « Alberto Giacometti, Léopold Sédar Senghor, Vincent Van Gogh ou Albert Camus… Quoi de commun entre tous ces artistes incomparables ? Ce qui les unit assurément, c’est la joie que la seule évocation de leur nom suffit à me procurer. […] Oserai-je l’avouer ? J’ai eu quelque scrupule à désigner si clairement les destinataires de ces hommages. C’est que toute forme d’idolâtrie m’est suspecte. Mais au bout de leur passion, de leur souffrance, c’est à l’Homme même que ces créateurs de génie m’ont conduit. L’Homme fragile et singulier. Poète s’il discerne la beauté dans la poussière de ses apparences. Sublime s’il accueille comme une grâce l’émotion qui si charnellement le renvoie à sa substance sacrée… »

Sur chacun de ces personnages, peintre, musicien ou poète, il va écrire un texte, quelquefois très court, poème ou prose poétique, qui tentera de nous restituer, en raccourci, comme un instantané photographique, tel aspect de la vie, de l’esprit ou de l’œuvre du créateur. Ce n’est pas l’objet de son livre, et dans aucun de ces textes, D. Berghezan ne prétend faire œuvre de « critique » et éclairer la singularité de chacun ses « admirés », encore moins cerner l’essence de son œuvre ou nous en ouvrir quelque nouvelle porte. Au contraire même, aurais-je envie de dire, la démarche est beaucoup plus humble, et même très risquée dans son humilité, car elle est exercice d’hommage, en effet, exclusivement poétique, et choisit d’explorer seulement ce qui relève presque de la connaissance a minima que chacun a (ou en tout cas devrait avoir) sur chacun de ces créateurs. Ainsi, pour Beethoven, la référence à « la sonate au clair de lune, pour Rimbaud celle de son poème sur « la blanche Ophélie », ou pour Senghor celle, récurrente dans l’œuvre, de la femme-Afrique. Pour ce qui concerne Van Gogh, l’auteur évoquera l’épisode de l’oreille coupée ou, pour Claudel, celui de sa rencontre avec la Foi derrière un pilier de la cathédrale Notre-Dame.

Démarche très risquée, disais-je, car en utilisant pour matériau tous ces éléments qui constituent le fonds commun de ce que nous nous sommes tous censés avoir entendu et connaître, il y avait danger d’entretenir le « lieu commun ». Mais D. Berghezan assume pleinement ce risque et en tire même avantage en nous faisant revisiter certaines pages de notre paysage culturel, en y introduisant la singularité de son approche et une émotion personnelle qui en renouvelle, sinon le sens, du moins le regard dans lequel nous figeons souvent les repères de nos mémoires.

Car voilà, sous sa plume, la musique de Beethoven incarnée par quelqu’un qui, se levant la nuit pour regarder la lune dans le ciel, y voit dans sa blancheur blafarde le « minuit de la pensée », ce qui, dans son regard, est « lumière de l’après-monde ». Ce qui encore, dans cette lumière apaisée, dissout, le réduisant à l’Un, toute contradiction de l’être, pour libérer en lui « son essaim de prières ». Car voilà encore, dans la peinture de Van Gogh, ce qui nous bouleverse, « cette solitude qui met le sublime à l’orage », cette puissance des couleurs, du geste sur la toile, « comme la mer lorsque la digue cède, lorsque la lame fuse d’un incompréhensible corps. » Mais aussi, assumer ce risque dont je parlais plus haut, c’est se glisser dans la parole de Claudel pour essayer de nous communiquer le tremblement de son esprit, traduire l’indicible, « le jaillissement du ciel dans l’air, le scintillement d’une crête sur la mer » quand « soudain tout devient simple et pur, comme une lèvre douce et naïve, comme une intuition qui n’aurait pas besoin de preuves. » Si, une fois que « le ciel possédé » s’est estompé « dans un frisson de sang », Laure apparaît à Paul Valéry « dans sa totale transparence » pour annoncer « l’avènement de son plein amour », dans les sculptures décharnées de Giacometti, « le corps s’est tellement résigné qu’il ne reste plus que l’âme. » Et il faut l’œil et les mots du poète pour voir que « la lumière glisse dans l’évanescence des membres », entendre « une respiration qui remonte des premiers indices de l’humilité », y déceler « l’infirmité qui travaille à l’équarrissement de la grandeur », y reconnaître, avec ses yeux de chair, « l’âme même restituée à sa vertigineuse nudité. »

D. Berghezan nous rappelle, dans ce court ouvrage, que s’il y a chemin dans le langage, le poème est leçon. Ces quelques textes (et on aimerait bien en lire quelques autres de pareille teneur) attestent non seulement d’une expérience de ce langage, celle-ci commune à tous, poète écrivant ou non, mais plus nécessairement d’une expérience dans le langage. Cela s’inscrit dans la démarche dans laquelle doit s’engager toute expérience poétique. Il ne suffit pas en effet que le poète porte un regard sur le réel, que ce soit le réel de la réalité physique ou bien celui d’une œuvre, mais il faut que ces mots y cherchent et y trouvent, y débusquent le moment du face à face avec cette beauté dont D. Berghezan nous dit qu’il faut la discerner dans la « poussière de ses apparences ». On voit qu’il s’y emploie, et en cela sa poésie mérite qu’on la lise et qu’on la fasse partager. Il y a là matière à repousser un peu plus loin les limites de son regard et à nourrir son âme.  


« Hommage à Saint-John Perse », 2016
Chronique du « blog de Mansfield », 2018.

Pour apprécier cet éloge faut-il réellement connaître Saint John Perse, Paul Claudel ou Léopold Sédar Senghor ? Être féru de poésie hermétique, très littéraire, avoir lu Rimbaud, avoir des notions d’alexandrin, de rythme, se passionner pour un style laudateur ? Pour en goûter la substantifique moelle, c’est possible. Pour se laisser bercer par les mots, les sons, la musique, les couleurs, pas besoin. Pour repérer les thèmes de la mer, l’amour, la création, l’enfance, le déracinement, le rôle du poète, inutile. Le talent de Daniel Berghezan réside dans l’expression de son admiration pour l’auteur d’ « Amers », par ses mots, son rythme, sa voix.

La voix, parce qu’une louange s’écoute plus qu’elle ne se lit. Dès le premier poème, on entend les mots et les chants de l’auteur qui accompagnent ceux du poète. Le Prince (Saint John Perse) émerveille l’homme brut (l’auteur) et le réveille, le révèle à lui-même. L’homme au pouvoir de sorcier, le manipulateur de mots enseigne la rigueur, la vigueur, la flamme, la puissance d’un langage somptueux. L’apprentissage est prodige, vertige. Son objectif est d’atteindre à une plénitude existentielle. Dans une transe intellectuelle Daniel Berghezan s’imprègne de l’art du poète. Et la mer en sourdine bat la mesure, flux, reflux, les idées fusent par vagues : syllabes, césures, hémistiches, on oublie. On retient le procédé de va et vient, la cadence : des vers courts, très courts alternent avec d’autres, longs, très longs. La mer est présence, elle est mouvement permanent. Cueillant les fruits de cette éducation, Daniel Berghezan en a rempli un plein panier. Il use de métaphores, de thèmes chers au poète, évoque les périodes de sa vie. La femme, la chair, le corps, le désir, tout se confond. L’homme se construit grâce au souffle du poète. La beauté de ses vers, l’émotion qui s’en dégage, permettent une sorte de communion sacrée. C’est cet élan vital qui porte Daniel Berghezan.

Les Antilles me sont chères. Les rappeler est douleur pour le poète né à Pointe-à-Pitre et qui refusa d’y retourner après son exil. Daniel Berghezan les a-t-il visitées un jour ? Son vocabulaire luxuriant et riche me trouble particulièrement. Est-ce que Saint John Perse s’est réellement emparé de lui qui donne à voir les couleurs des tropiques sans les nommer ? : « Cette brise qui se lève magnifique et nue, à la rencontre du ciel ouvert…. Floraisons de perruches, forêts équatoriales, tout échoue dans tes rets poétiques…mer phonétique à la phosphorescence, mer prophétique à l’incandescence… »

Et enfin puisqu’un poète en rappelle un autre, j’ai établi deux parallèles.

D’une part :

« Hommes bruts jamais
jamais ne connaîtrons-nous plus de défaillance
que ne puisse combler cette aube pure, cette aube simple,
cette aube immense qui brûle
dans le cristal de son incandescence ! »
Daniel Berghezan, Hommage ! Hommage à la Vivacité divine !

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer. »
Charles Baudelaire, l’homme et la mer

Et d’autre part :

« - ô Saint-John Perse le Lyrique –
la voix gorgée de mots malades et envoûtants
avec cette fièvre,
avec ce feu,
te voici à jamais épié
dans l’envol de tous les oiseaux du Monde. »
Daniel Berghezan, Ô toi qui reviendras, sur les derniers roulements d’orage.

« Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher. »
Charles Baudelaire

Merci à Daniel Berghezan de nous avoir indiqué comment cet envoûtement lui a permis d’accéder au « monde entier des choses ».



« Une lecture de Voyage »
Chronique d’une lectrice à la Réunion, 2021.

« Je vous ferai pleurer, c’est trop de grâce parmi nous » Saint-John Perse (Invocation 2 AMERS)

« Il voyagea Il connut la mélancolie des paquebots … Il revint »

Ces phrases laconiques de Flaubert, dans « l’Education sentimentale » pourraient servir de cadre aux 12 poèmes du recueil Voyage de Daniel BERGHEZAN, douze journées d’un périple sur la mer des Tropiques : « la préférée »

POUR QUELS OUBLIS ? …..

Un passager, sur le pont, « Fixe le ruissellement des vagues comme un animal hypnotisé » . Quand le soleil s’enfonce à l’horizon, il sait que son passé, aussi, s’engloutit avec lui : « Il ne se représentera plus ».

Il s’isole, pour pouvoir « enfin sangloter » tel un enfant abandonné.

Comment retarder le désir que l’on devine dans ce « Coup d’œil par-dessus le bastingage » de plonger « nu dans l’océan comme un pantin désarticulé ».

Un seul recours : l’Ecriture. « Prendre des notes avant de mourir. » Mais le journal de bord, par la perte des repères temporels, trahit l’égarement, la désorientation : Au jour 5 succèdent le jour 19, puis 13 …. Et que dire de ce jour 32 où le surplus du temps déborde ? : « Combien de jours encore durera cette traversée ? »

Le navire, inexorable, poursuit son errance, ponctuée de levers d’aubes pâles, de midis brûlants, de nuits d’insomnies.

A la température torride s’accordent l’accablement, et les brûlures du cœur. La Splendeur du Monde s’offre au voyageur…. Il y voit le reflet de ses tourments ! Douleur, angoisse, manque. « L’étendue crépite de mille blessures » « Tout autour de moi, le monde est noir et refermé »

Dans cette perception subjective du paysage, le rouge et le noir dominent, pas de bleu, ombres et lumière : « Le ciel se tord dans l’éblouissement d’un dernier espoir » « Soldant toute espérance, les rouges se délitent »

Au cours de ce voyage au bout de la solitude, la mer, seule compagne, inlassablement contemplée, prend une apparence féminine et se substitue à l’Absente, dont l’ombre, fugitive, se laisse deviner.

On dirait une nouvelle histoire d’amour, poétique et fusionnelle : « La mer s’est allongée dans un profond regard. » « L’eau propage ses écailles de lune »

Lascive, elle s’insinue entre les pages et imprime son rythme. « La mer m’écrit, s’écrit et s’écroule »

Sensuelle, elle offre ses promesses de douceur. « La mer déroule ses frissons sur sa face caressée. »

Ardente, elle appelle le désir : « La mer maintenant, qui s’impatiente de bouillir » « Ne plus attendre » « Son corps enflé dans sa virginité couchée » Amante, enfin, elle se donne avec amour, dans une « étreinte confiante et passionnée », qui libère du passé. « La mer en moi, la mer charriée, la mer lovée en moi. » Mais ces mystérieuses noces avec l’eau sont troublantes et ambiguës : S’agit-il d’un besoin d’absolu ou d’une tentation d’abîme ? Eros ou Thanatos ?

La mer, telle la passion est-elle : « Souffrance ou rédemption ? » Au fil des jours, au fil des pages, les fièvres de cette « trop belle maladie » s’apaisent. « La légèreté soudaine du drap réveille une chance à fleur de peau »

L’enchanteresse peut s’effacer, avec ses sortilèges …. « L’étoile a dérobé la mer »

Le voyageur atteindra-t-il son rivage ?

Le 12ème jour enfin, date symbolique, les contours d’un NOUVEAU MONDE se profilent à l’horizon….

LA SOUFFRANCE AURAIT-ELLE UN SENS ?

Dans ces douze poèmes du recueil VOYAGE pathétiques et passionnés, avec des mots tantôt pudiques, tantôt brûlants, des images fiévreuses, convulsives ou extasiées, des alternances de rythme, calquées sur le mouvement des vagues et les atermoiements du cœur, Daniel BERGHEZAN , grâce au pouvoir alchimique de la poésie, transforme une douloureuse expérience humaine en une émotion esthétique, une interrogation métaphysique :

TRISTESSE, PASSION, BEAUTE.


En hommage au poète
Geneviève Vilon