Une lecture de Voyage



Chronique d’une lectrice à la Réunion, 2021.

« Je vous ferai pleurer, c’est trop de grâce parmi nous »
Saint-John Perse (Invocation 2 AMERS)

« Il voyagea. Il connut la mélancolie des paquebots … Il revint. » Ces phrases laconiques de Flaubert, dans « l’Education sentimentale » pourraient servir de cadre aux 12 poèmes du recueil Voyage de Daniel BERGHEZAN, douze journées d’un périple sur la mer des Tropiques : « la préférée ».

POUR QUELS OUBLIS ? …..

Un passager, sur le pont, « Fixe le ruissellement des vagues comme un animal hypnotisé ».

Quand le soleil s’enfonce à l’horizon, il sait que son passé, aussi, s’engloutit avec lui : « Il ne se représentera plus ».

Il s’isole, pour pouvoir « enfin sangloter » tel un enfant abandonné.

Comment retarder le désir que l’on devine dans ce « Coup d’œil par-dessus le bastingage » De plonger « nu dans l’océan comme un pantin désarticulé ».

Un seul recours : l’Ecriture. « Prendre des notes avant de mourir. »

Mais le journal de bord, par la perte des repères temporels, trahit l’égarement, la désorientation : Au jour 5 succèdent le jour 19, puis 13 …. Et que dire de ce jour 32 où le surplus du temps déborde ? : « Combien de jours encore durera cette traversée ? »

Le navire, inexorable, poursuit son errance, ponctuée de levers d’aubes pâles, de midis brûlants, de nuits d’insomnies.

A la température torride s’accordent l’accablement, et les brûlures du cœur. La Splendeur du Monde s’offre au voyageur…. Il y voit le reflet de ses tourments ! Douleur, angoisse, manque. « L’étendue crépite de mille blessures » « Tout autour de moi, le monde est noir et refermé ».

Dans cette perception subjective du paysage, le rouge et le noir dominent, pas de bleu, ombres et lumière : « Le ciel se tord dans l’éblouissement d’un dernier espoir. » « Soldant toute espérance, les rouges se délitent. »

Au cours de ce voyage au bout de la solitude, la mer, seule compagne, inlassablement contemplée, prend une apparence féminine et se substitue à l’Absente, dont l’ombre, fugitive, se laisse deviner.

On dirait une nouvelle histoire d’amour, poétique et fusionnelle : « La mer s’est allongée dans un profond regard. » « L’eau propage ses écailles de lune »

Lascive, elle s’insinue entre les pages et imprime son rythme. « La mer m’écrit, s’écrit et s’écroule. »

Sensuelle, elle offre ses promesses de douceur. « La mer déroule ses frissons sur sa face caressée. »

Ardente, elle appelle le désir : « La mer maintenant, qui s’impatiente de bouillir » « Ne plus attendre » « Son corps enflé dans sa virginité couchée »

Amante, enfin, elle se donne avec amour, dans une « étreinte confiante et passionnée », qui libère du passé. « La mer en moi, la mer charriée, la mer lovée en moi. »

Mais ces mystérieuses noces avec l’eau sont troublantes et ambiguës : S’agit-il d’un besoin d’absolu ou d’une tentation d’abîme ? Eros ou Thanatos ?

La mer, telle la passion est-elle : « Souffrance ou rédemption ? » Au fil des jours, au fil des pages, les fièvres de cette « trop belle maladie » s’apaisent. « La légèreté soudaine du drap réveille une chance à fleur de peau »

L’enchanteresse peut s’effacer, avec ses sortilèges …. « L’étoile a dérobé la mer »

Le voyageur atteindra-t-il son rivage ?

Le 12ème jour enfin, date symbolique, les contours d’un NOUVEAU MONDE se profilent à l’horizon….

LA SOUFFRANCE AURAIT-ELLE UN SENS ?

Dans ces douze poèmes du recueil VOYAGE pathétiques et passionnés, avec des mots tantôt pudiques, tantôt brûlants, des images fiévreuses, convulsives ou extasiées, des alternances de rythme, calquées sur le mouvement des vagues et les atermoiements du cœur, Daniel BERGHEZAN , grâce au pouvoir alchimique de la poésie, transforme une douloureuse expérience humaine en une émotion esthétique, une interrogation métaphysique :

TRISTESSE, PASSION, BEAUTE.


En hommage au poète
Geneviève Vilon