Vincent

Quelle force au seul visage ! Quelle violence d’un trait, d’une providence, d’un paroxysme de couleurs. C’est au rebours de l’âme comme l’exaltation, comme l’exclamation d’une foi scarifiée.
Quelle force en plein visage ! Quelle ferveur assortie au solfège au sortilège de la vie, à la futilité à la fatalité de vivre.

Et cette fièvre qui crie, mon Dieu qu’il est fatal de l’entendre dans l’exorcisme du silence. Cette fièvre au front, cette fixité accumulée, l’esprit désaffecté où hurle l’indigence. Ô Vincent, il y a quelque chose de terrible et nu qui te fit perdre pied au bord de l’extase ! Les feux déchirés, la lumière défoncée dans les ramifications de ta souffrance. Et cette lucidité qui prospère sur ta toile – oh combien tu en savais le prix et combien tu en as chéri la rigueur !

Au beau milieu du cadre, il y a la haute voltige d’un mysticisme torturé. Il te fallut réinventer le ciel, il te fallut écarquiller la plaie d’une intuition fulgurante. Qu’elle est haute l’apothéose des cieux au surplomb de la terre ! Qu’elle est belle cette solitude qui met le sublime à l’orage ! Lorsque l’absolu confine la douleur. Lorsqu’il consume la douceur. Toute ton existence plaquée là, ta pauvre histoire placardée dans la naïveté de ta raison malmenée !

Quelle force en plein visage ! Et ce tumulte arraché à la turpitude, la lave d’une peinture haletante – et ce cri – ce cri qui veut parler – ce cri de couleur. Dans l’aplat des apparences, le plein chant du ravissement. Oui cette vie-là qui prend feu sous tes doigts, le brûlot dans le suspens du jour – la splendeur d’une âme à la chair amarrée.

Remodelé par tes étranges pouvoirs – ô Vincent – le ciel se tord du monde occupé à mourir. Tu peins. Tu t’es coupé l’oreille et mutilé le cœur. L’art fut ta délivrance et ton élévation. L’art fut ton souffle même, et ton asile et ton tombeau. Et ton regard simplement désespéré est d’une violence impossible à soutenir.

Quelle force en plein visage ! Quelle puissance comme la mer lorsque la digue cède, lorsque la lame fuse d’un incompréhensible corps. Et la folie n’est plus tienne, mais nôtre même au for de l’ignorance. Ô Vincent, tu n’as commis ni outrances ni outrages, juste une ligne escarpée par tant d’années de privations. Et nous n’étions pas nés, et tu n’étais pas mort lorsque nos yeux fixèrent ton mal au plus secret de nos âmes.

Ta dignité, Vincent, fut de multiplier la vérité dans sa grandeur, dans sa misère, dans la beauté d’une souffrance toute pareille à la lumière.