Antonin Artaud


Un visage terrible et nu
Vociférant sa crudité
Une folie qui vous fixe jusqu’à la moëlle
Une fulgurance qui vous écaille
Un oeil, un masque, un corps à l’essentiel

Une lèvre qui tremble ou explose
Qui saigne bleu, qui saigne rouge
Qui saigne toutes les couleurs de l’enfance
Un choc, un soubresaut, une étendue
Qui raclent et roulent dans une pensée hallucinée

La violence, la cohérence d’un NON jusqu’à la chair
Une chair alertée par la vie
Une vie arrêtée par la chair
Un regard qui ne triche pas, qui ne pourrait pas tricher
Car toute son âme y est suspendue
Car toute son âme y trébuche
Et s’il hurle à vous faire peur, à vous faire mal
C’est que son être se déchire
C’est que son être se délite
Et se blesse et se cogne comme seul un fou peut se blesser et se cogner
Contre les murs de son histoire

Une écriture qui jette sa jeunesse du haut de la falaise
Une vague jamais libre de s’endormir
Toujours refoulée, toujours revenue
Et qui se lève immense
Dans le brouillard déshabillé

Une force humaine et surhumaine
Qui crée le mouvement même de la douleur
Qui lui arrache ses syllabes
Une main qui fraie la profondeur
Une profondeur qui vous inflige l’humilité
Et n’offre aucun répit, aucune issue, aucun recul
Un rire qui vous ravage de fond en comble
Et vous pousse à bout de forces, à bout de nerfs, à bout de sang

Un visage terrible et nu qui ralentit
Un cri qui s’affaisse en silences

La larme soudaine et improbable
Du grand regard brisé
Où pleurent toute l’ardeur, la violence
Et la beauté du ciel décimé.